lundi 23 janvier 2023

Qui est-ce que j'imite ? À qui est-ce que je m'adresse ? (Rapport Recherche, Nouvel An 2023)

Cet article est la réflexion d'un philosophe après ses deux premières années en tant que chercheur indépendant. Vous pouvez le lire sans avoir lu l'épisode précédent. Mais pour ceux qui suivent le fil, il s’agit d’une continuation de l’article que j’ai écrit en 2021 sur les exercices spirituels et la priorisation de la sagesse dans mon travail de recherche. Je vais en effet décrire l'état de mon travail philosophique en cours, en me référant à ce que j'en attendais à l'époque.

1) Des nouvelles du blog

    Le nouvel an 2023 me donne envie de réfléchir à l’état de mon activité philosophique. J’ai aussi envie de donner des nouvelles pour ce blog, où j’ai annoncé des projets qui se sont compliqués en route, et qui ne se sont pas concrétisés comme je le pensais. À leur annonce, j’avais promis de vous tenir au courant si je changeais d’avis sur quoi que ce soit, et il y a en effet beaucoup de choses que je n’avais pas en vue à l’époque et que je peux maintenant décrire. Le fait est que je n’ai quasiment rien publié, non seulement de ce que j’avais annoncé en avril 2021, mais en général sur ce blog. Je n’ai presque rien partagé ici.

Le projet philosophique que j’avais annoncé a démarré lentement, mais a bien démarré. J'ai seulement changé d'avis sur la forme que devrait prendre ma production. 

Pour rappel, voici comment j’avais formulé mes priorités en tant que chercheur à l’époque :

1)                 Effectuer un travail de vulgarisation, de veille, et d’élaboration conceptuelle au sujet des « exercices spirituels ». Ces pratiques invisibles dont on use pour s’influencer soi-même dans le sens d’une vie meilleure. (Par exemple, la méditation de pleine conscience.)

2)                 Effectuer un même type de travail au sujet des « désaccords » et « malentendus » entre personnes. En particulier, dans le contexte d’une démocratie, et dans le cas de notre rapport à internet (qui est très jeune et mérite une réflexion philosophique).

3)                 Faire le travail mentionné dans les points 1) et 2) en suivant une méthode que l’on peut qualifier de féministe

Ces formulations mettent en évidence que je pensais être prêt à être un vulgarisateur du travail philosophique. Je pensais que j’allais faire de la « curation » et commenter ce que je présentais. J'avais mis en place des outils pour surveiller Internet à l'affût de choses intéressantes : agrégateurs de flux d'actualités, alertes Google Scholar, alertes e-mail, abonnement à des newsletters thématiques, etc. Je pensais que beaucoup de choses intéressantes allaient tomber dans mes filets et que je pourrais écrire des articles de blog et des threads twitter à leur sujet. 

(Je viens de jeter un long coup d'oeil sur mon twitter, et cela m'a fait me rendre compte que j'ai écrit plus de threads que dans mon souvenir. Je pourrais peut-être les mettre en valeur à l'avenir. La raison pour laquelle mon souvenir minimise toute écriture twitter est peut-être qu'elle ne m'est jamais venue facilement, au contraire de ce à quoi je m'attendais, et que par ailleurs, le format et le forum ne me satisfaisaient pas.)

2) Le problème : À qui est-ce que je m'adresse ?

   Le problème c’est que.. soit je n’étais pas inspiré par ce que je trouvais, soit je trouvais cela effectivement intéressant, mais alors cela ne se prêtait pas vraiment à l’exercice de la réaction à chaud. En partie, ce manque d’inspiration, et ce manque de réactivité, sont dus à mes propres capacités, préférences, et références. 

    J’ai par exemple remarqué chez moi un gain d’inspiration pour la vulgarisation seulement si je peux me référer à une rencontre récente que j’ai eue avec quelqu’un qui ne connaît pas grand-chose à mon sujet préféré : je peux alors m’imaginer lui répondre et me dire que ce que j’ai à dire est utile. L’un des seuls articles que j’ai publiés sur le blog pour le moment concerne la question de l’adoption de la méditation de pleine conscience à l’école : il était très facile pour moi d’imaginer quel serait le public d’un tel article étant donné que j’avais parlé à une journaliste de ce sujet peu de temps avant. L’autre article que j’ai publié, "apologie de l'adversaire politique", coïncidait avec l’élection présidentielle en France, et j’espérais parler à ceux qui traversaient ces évènements avec moi. Cependant, pendant un long moment, je n’avais pas beaucoup de contextes de discussion tels que ceux-ci qui m’inspiraient des réponses (je crois que cela a changé récemment).

      Il m’est difficile de rencontrer - et de me laisser captiver par - les bons contextes d’inspiration. J’en ai quand même trouvé quelques uns sur lesquels je pense pouvoir compter à l’avenir.  Je pense à certaines communautés universitaires que j’ai réussi à trouver pendant ce temps que je n’écrivais pas pour le blog.

Quelques unes:

-    PhenoLab, un laboratoire théorique concernant la phénoménologie et la santé mentale.

- La communauté de chercheurs s'intéressant à la psychopathologie phénoménologique, que vous pouvez découvrir ici et .

- PhenomenoMind, qui s'intéresse à la phénoménologie de la pleine conscience

- Le club de lecture EPiPHENY qui étudie des textes phénoménologiques

- Le groupe de recherche "Art of Living", en particulier les conférenciers qui ont présentés des analyses de Michel Foucault et Pierre Hadot

- Le laboratoire philosophique sur les émotions : Emotion and Society )

        Je ne sais pas comment j’aurais pu les trouver plus tôt : il m’a fallu jouer avec twitter pendant un long moment avant qu’il y ait une percée, et que soudainement je découvre le jeu des conférences et des publications universitaires (les appels à contributions, etc). Je savais que ce genre de choses existait, mais je n’étais pas versé dans ces pratiques. C'est seulement par cette initiation que j'ai réussi à trouver mes collègues. J’ai longtemps cherché avant de trouver « my people » : la philosophie de la pleine conscience, la philosophie de la médecine, la philo des émotions, la philo herméneutique. J’ai plusieurs projets d’écriture qui aboutiront peut-être à quelque chose avec eux. C’est cela qui est devenu ma priorité au lieu du blog.

3) Des nouvelles concernant mes recherches

    -    Ai-je changé d'avis sur mon orientation "Altruisme Efficace" ?

       Je pose la question, mais en fait je ne vais pas revenir aujourd’hui sur le cadre que j’ai adopté en 2021 pour penser à mes priorités : le cadre utilitariste, inspiré du mouvement "altruisme efficace" (ENG: Effective altruism). Ce n’est pas que je n’ai rien à dire là-dessus, mais je le réserve pour une autre fois. Je vais donc donner la parole à des ressources que j'ai trouvées sur la question, mais sans commenter à quel point je suis d'accord ou non avec elles. Un autre blog affilié à l’altruisme efficace, Cold Takes, a produit des articles très intéressants (le genre d'articles qui me fait dire "Oh j'aurais aimé avoir écrit celui-là mais je suis content de ne pas avoir eu a le faire") sur ces sujets. En particulier sur:

1)      - la question des problèmes épineux (Mon problème concernant l’extension et l’intention de ma recherche sur la sagesse est un tel problème épineux.)

2)       - sur la question des enquêtes à confiance minimale (Ma plongée critique dans la littérature scientifique concernant la méditation de pleine conscience correspond à ce modèle.)

3)       - et même sur la question des vices utiles lorsqu'on fait face à des problèmes épineux.

 -          Où en suis-je par rapport à ma recherche sur les « exercices spirituels » ?

 J’avais toujours dans l’idée d’élaborer mon propre concept concernant ce phénomène, ma propre description. J’ai trouvé un nom à ce concept, celui de « technique médicale philosophique ». Ce nom rend explicite le lien que je fais entre ce sujet et la philosophie de la médecine. Je suis sur le point d’écrire un article qui détaille cette conception. J’écris cet article dans le cadre d’un effort collectif de plusieurs philosophes qui appellent à l’avancée de la « psychopathologie phénoménologique ». La psychopathologe étant l’étude des troubles mentaux et la phénoménologie étant une méthode de description des lois nécessaires de la conscience.

J’ai aussi eu l’occasion de lire une thèse très intéressante qui détaille la philosophie de terrain qu’il est possible d’effectuer dans le cadre d’interventions cliniques qui font usages des exercices spirituels. Il s'agit de la thèse de Mareike Helena Smolka, "Ethics in Action" (soutenance de thèse en vidéo: ici sur youtube). Cela m’aide à concevoir où je me situe, en tant que philosophe qui essaie de trouver un rôle utile à sa recherche, et ne veut pas se lancer dans une érudition infinie qui n’aiderait pas grand monde à part moi-même. Je crois avoir longtemps rêvé de la possibilité d'un "philosophe de terrain" mais il est très très difficile de tomber sur quoi que ce soit de tel, et je suis très heureux d'avoir trouvé que quelqu'un avait la même idée que moi.

-              -    Qu’en est-il de mon projet de recherche portant sur les « désaccords » et « malentendus » ?

J’ai deux angles d’approche pour ce sujet là.

Le premier concerne la philosophie des émotions, et ce que j’appellerais la philosophie du « choc », qui porte sur le choquant, le rapport à l’alterité, et les traumatismes. L’un des rares articles que j’ai publiés pour le blog – Apologie de l’adversaire politique – donne un aperçu de ce que j’essaie d’accomplir par là. Je suis actuellement en train d’écrire un autre article qui détaille certaines de ces idées. Il s’agit d’une réponse à un article très intéressant de Katie Stockdale à propos des « chocs moraux ».

Le second angle concerne la phénoménologie herméneutique. Je viens de terminer de lire un chef d’œuvre, un très long livre, qui s’appelle Truth and Method de Gadamer, et qui, comme je m’en doutais, offre une conception de l’herméneutique (l’art de l’interprétation) qui manque cruellement à la société si l’on veut éviter la calomnie inutile des gens avec qui nous ne sommes pas d’accord. Cette conception, à mon avis, a le potentiel de diminuer la polarisation politique toxique. J'ai encore des lectures à faire à ce sujet: Overcoming Polarization in the Public Square (Barthold) et Legitimate Differences (Warnke).

Faisons une prédiction de ce que ma production pourrait être par rapport à ce sujet de recherche : …Je me demande si je ne pourrais pas croiser ces considérations avec mon intérêt pour la méditation de pleine conscience et proposer un protocole thérapeutique qui aurait pour but de réduire les chocs de désaccord et les malentendus inutiles. J’ai envie d’appeler cela « l’approche confiante ». Il s’agirait d’une méthode de pleine conscience appliquée à la discorde sociale. J’arrive à imaginer pas mal de points d’intérêt comme par exemple une réduction des passions tristes sur les réseaux sociaux, un soin contre le burn-out pour les militants engagés dans des débats houleux, une prise de conscience de la nécessité de la souveraineté quant à la consommation des médias, etc.

-              -    Où en est mon engagement féministe auquel je faisais allusions dans mon article de 2021 ?

Dire que ma philosophie suivait une « méthode » féministe était sans doute une façon maladroite de formuler la chose. Je crois maintenant que cette façon de dire devrait être réservée à des philosophies qui abordent des thématiques féministes. Ce qui n’est pas mon intention (quoique je n’y suis pas opposé non plus). Par là, j’entendais plutôt que je voulais agir avec fidélité à une prise de conscience féministe appliquée au milieu universitaire. Je peux donner quelques exemples, cela sera plus simple :

Après avoir écrit mon Mémoire sur la philosophie d’Emmanuel Levinas, je me suis rendu compte que ma bibliographie était composé de beaucoup d’hommes et de peu de femmes. Ce n’est pas quelque chose contre lequel on m’avait mis en garde lors de mes études, et ce n’est pas non plus quelque chose que les examinateurs de ma dissertation m'ont signalés. Je me suis intéressé au problème de la citation bibliographique des femmes philosophes et je me suis rendu compte qu’il y avait un problème de misogynie assez flagrant à cet égard. J’ai donc pris la résolution de réfléchir à ce problème et d’y remédier. J’ai eu l’occasion de me rattraper en ce qui concerne les études sur Emmanuel Levinas. En effet, j’ai écrit un article sur Levinas et la méditation de pleine conscience et l’une des demandes de l’éditeur était de créer un aperçu du domaine de recherche, ce qui passe par une compilation bibliographique. J’ai pu corriger mon erreur en remédiant à la médiocrité de la bibliographie que j’avais produite pour mon Master. Je partagerai peut-être les détails de tout cela plus tard.

Sinon, je fais partie d’un club de lecture qui lit et parle du livre « Feminist Philosophy of Mind ». Pour une philosophie féministe de l’esprit. Les articles de ce livre sont très inspirants et me permettent de repérer les biais misogynes que l’on peut trouver dans le genre de philosophie que j’aime pratiquer : la description de la structure de la conscience. 

Je n’envisage pas de produire quoi que ce soit concernant cet engagement féministe. Peut-être que je partagerai certaines idées ou certains travaux bibliographiques. Mais si vous avez des questions à propos de ce sujet, vous pouvez m’écrire à mon adresse email (c.f fin de l'article) et je vous répondrais avec plaisir.

-              4)    Qui est-ce que j’imite ?

En guise de conclusion, j’aimerais partager avec vous une question qui m’aide beaucoup à penser à tout cela : « Qui est-ce que j’imite ? ». Si j’avais ces prédictions par rapport à ma production philosophique… Si j’avais une idée de la fréquence et de la nature de mes articles (veille, curation, vulgarisation, thématiques précises…) Ce n’est pas parce que j’ai inventé toutes ces idées ex-nihilo. C’est plutôt parce qu’il y a des créateurs que j’admire et que je calquais mon idée de ce qu’il m’était possible et souhaitable de faire sur ce que je voyais de leur production. Cette question, donc me permet de faire le travail d’introspection qui fait la différence entre mes attentes et la réalité. Cette différence m’a causé beaucoup de désespoir et de frustration. J’étais très triste à l’idée que mon travail soit si « lent ». Maintenant que je regarde tout ça avec un peu plus de recul, je ne suis pas si certain que tout va mal.

-          Quel est le futur du projet « Le Miroir Tranquille » ?

La destinée de mes promesses de 2021 m’enseigne qu’il est difficile de prévoir quelle forme prendra mon travail de recherche. Il est difficile de s’engager à produire des articles de blog ou des épisodes de podcast régulièrement. Par contre, je trouve que l’exercice rétrospectif auquel je me livre là maintenant est très intéressant. J’ai très envie de renouveler cet exercice au prochain nouvel an. Si je peux, chaque année, décrire la différence entre ce à quoi je m’attendais et ce qui s’est réellement passé, ce blog sera déjà très intéressant. De manière plus générale, je crois que par le passé j’étais moins enclin à parler de mon processus de recherche (au lieu de parler de mes résultats de recherche) que maintenant. Cela est surement dû aux personnes que j’imitais inconsciemment, et qui, dans mon imagination, ne font que créer des produits bien finis et soignés, sans jamais laisser entrevoir aucune vulnérabilité, ou intimité du processus de création.

- Pierrick Simon

23/01/2023

Mail : lemiroirtranquille@outlook.fr (n'hésitez pas)

Podcast: https://soundcloud.com/user-930224367 

Twitter: @PhiloTranquille

      Mastodon: @PhiloTranquille@scholar.social

    Malt: https://www.malt.fr/profile/pierricksimon (pour me donner des missions, en tant que freelance)

    Ko-Fi: ko-fi.com/pierricksimon (Les dons aident mon projet de recherche.)


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