lundi 9 août 2021

Méditation à l’école : attention aux mauvais contre-arguments

Dans un communiqué de juin 2021[1], la « Ligue des Droits de l’Homme » s’oppose à l’enseignement de la méditation de pleine conscience à l’école. Malheureusement, elle le fait de mauvaise manière. D’une part, elle cède à des arguments phobiques faciles et illégitimes, à cause d’une description erronée de la pratique. D’autre part, au-delà du style pamphlétaire, elle tombe également dans un écueil moins facile à détecter, mais que toute critique de la méditation à l’école se doit d’éviter pour pouvoir être prise au sérieux : l’omission du champ de recherche de la psychologie sociale comme lieu de débats ininterrompus, fructueux, et salvateurs, sur la méditation de pleine conscience.

Je n'ai pas encore d'opinion forte sur le fait d'enseigner ou non la méditation à l'école mais je tiens à signaler les mauvaises approches. Le texte qui suit peut donc aider à la fois ceux qui veulent défendre l’enseignement de la méditation à l’école et ceux qui veulent s’y opposer de façon rigoureuse.

L’association mobilise plusieurs arguments qui sont censés être solidaires entre eux. En voici la liste, par ordre d’apparition dans le communiqué :

o   Enseigner la méditation de pleine conscience à l’école serait contre le principe de laïcité

o   Le bénéfice de la pleine conscience ne serait pas (assez) avéré scientifiquement

o   Il serait avéré scientifiquement que la méditation peut provoquer des effets indésirables

o   La pratique serait proche de dérives sectaires

o   La méditation conditionnerait l’individu de façon maléfique : elle « conduit à une baisse de vigilance », « perte d’esprit critique », « assujettissement de l’individu »

o   Ce serait des lobbys bouddhistes qui piloteraient la promotion de la pleine conscience, comme outil de leur prosélytisme

En raison de la mission de l’association, deux arguments semblent très importants dans le communiqué : ceux qui ont vocation à rappeler les lois qu’il faut respecter. C’est-à-dire la mise en garde contre la contrevenance à la laïcité, et aussi une mise en garde contre la possibilité d’abus des enfants qui sont en état d’ignorance ou de faiblesse face à ce qu’on pourrait leur imposer (citant l’article 223-15-2 du code pénal).

Le problème de la laïcité

Il y a, premièrement, l’argument selon lequel l’enseignement de la méditation de pleine conscience serait une atteinte au principe de laïcité. Je pense que cette crainte ne survit pas à l’examen, et ne devrait pas être le cheval de bataille des critiques, malgré la tentation d’activer quelque chose auquel les français tiennent particulièrement pour des raisons historiques.

La méditation de pleine conscience consiste en une attention portée au moment présent, et au contenu de l'esprit, sans jugement hâtif. Sans plus. (Ce « sans plus » est d’ailleurs le cœur de la pratique). Il s'agit, fondamentalement, d'une ouverture à l'égard de la façon dont les pensées se présentent à nous.

Cette attitude poserait problème seulement: 1) si elle contenait immédiatement des présupposés intolérables pour la liberté de conscience de chacun, 2) si elle trahissait sa promesse d'examen impartial, et orientait subrepticement vers des croyances spirituelles décidées d'avance.

Notons au passage qu’il n’est pas nécessaire de se demander si il y a une religiosité inhérente à la pratique : nous pouvons être d’accord pour dire que faire pratiquer à des élèves une activité est mauvais, en général, si cette activité n’est pas nécessaire à la vie ensemble et/ou ne fait sens que si l’on admet des suppositions très incertaines. Cela est vrai que l’activité en question soit religieuse ou non. Et cette dernière condition permet, au passage, de penser la légitimité de faire pratiquer aux élèves des choses comme la lecture, la discussion d'idées, et l’exercice physique.

Il est concevable qu’une activité soit non-religieuse, mais porte tout de même atteinte à la liberté de conscience. Si nous pensons à la méditation de pleine conscience, je dirais que son imposition serait contre la liberté de conscience si, par exemple, elle accordait une valeur exclusive au moment présent, et niait l’importance de se préparer pour l’avenir, ou d’apprendre du passé. (Je prends cet exemple car j’imagine que certaines personnes pensent que c’est effectivement ce que fait la méditation.) Mais en réalité, la méditation de pleine conscience reste maximalement neutre sur toutes ces questions, et se contente d’inviter à examiner les choses telles qu’elles sont, sans affirmation préconçue sur ce qu’il convient d’en faire une fois l’état des lieux effectué.

En fait, la pratique de la méditation est similaire à la lecture ou à l’exercice physique. Ceux qui la pratiquent ont des opinions sur elle, mais elle n’implique pas, par elle-même, de croyances particulières, hormis l’idée qu’elle vaut le coup d’être essayée. En fait, elle admet un nombre infini d’interprétations. Comme la lecture, elle est susceptible d’être interprétée de différentes manières en tant qu’activité, et elle nous conduit à rencontrer un matériau (les textes, dans le cas de la lecture ; notre expérience psychique, dans le cas de la méditation) qui lui-même peut être interprété de différentes manières. Au niveau de l’encadrement théorique : il n’y a pas qu’un seul bouddhisme, mais plusieurs, qui offrent des descriptions très différentes de l’expérience. Mais surtout, il y a beaucoup de courants de pensées différents qui produisent des descriptions de notre expérience à partir de cette même attitude de pleine présence : par exemple le stoïcisme, l’épicurisme, le christianisme, etc. L’enseignant n’est pas tenu d’inculquer un courant de pensée en particulier, il peut faire un cours à propos des différentes descriptions possibles de l’expérience. L’aspect théorique du cours de pleine conscience serait juste un cours de philosophie.

Le problème de la maltraitance des enfants

Je pense donc que la Ligue des droits de l’homme se trompe de beaucoup lorsqu’elle affirme que la pratique, en elle-même, indépendamment des lobbys potentiels, pose un risque d’abus des enfants. Le communiqué argumente : « Cette méditation, qui concentre notre pensée sur la vacuité, conduit rapidement alors vers un conditionnement avec une perte d’esprit critique et un assujettissement de l’individu […] Vu sous cet éclairage, loin d’être un éveil, la MPC conduit à une baisse de vigilance, voie royale et classique pour amener ses pratiquants vers des états de sujétion propice à des abus».   C’est tout à fait faux.

La « vacuité » est une notion bouddhique souvent mécomprise. Elle est confondue avec le néant et un certain nihilisme. En vérité elle désigne le fait pour une chose de ne pas avoir une nature isolée des autres choses. Mais je ne sais pas si cette précision de ma part est très utile ici, car si l’on mobilise le fantasme noir du « lavage de cerveau », peut être que le problème est moins une mécompréhension d’un point de philosophie subtil qu’une phobie face à l’étranger.

Le problème de la manipulation des enfants

Mais que dire vis-à-vis de la peur selon laquelle la méditation de pleine conscience telle qu’elle est enseignée (ou risque d’être enseignée très prochainement), trahirait sa promesse d'examen impartial, et orienterait subtilement l’élève vers le bouddhisme ? Que dire, si le problème est moins la pratique en elle-même que son encadrement (engouement naïf, prosélytisme, cadre théorique sans compétition, pressions d’institutions interférentes, etc.) ? J’ai moins à dire sur cette question. Je pense que c’est une possibilité. Non pas inhérente à la pratique elle-même, mais plutôt comme résultant d’une mauvaise organisation de l’école.

En fait, je suis plutôt neutre vis-à-vis de la critique qui affirme que l’organisation effective de l’enseignement de la méditation à l’école est/sera catastrophique. Je me dois de rester neutre vis-à-vis de ces questions car, à ce jour, je ne dispose pas d’assez d’informations sur les institutions et les protocoles en place, et j’estime par ailleurs, qu’en théorie, il est possible que cette critique vise juste. Je ferais seulement remarquer deux choses qui manquent d’intelligence lorsque cette critique est faite la plupart du temps :

A)    L’obstacle est surmontable

Premièrement, les problèmes indiqués par cette critique sont loin d’être insurmontables en principe : nous sommes capables de créer des institutions qui nous protègent de ce genre de chose. Cela sonne donc très faux de dresser ce portrait comme s’il s’agissait d’un argument fort contre l’enseignement de la méditation, alors qu’il s’agit plutôt d’une situation qu’il est possible de réparer, si effectivement elle est réelle. Le débat devra donc revenir sur le terrain des arguments scientifiques sur le bien-être et des arguments philosophiques sur la liberté de conscience : enseigner la méditation vaut-il le coup ?

B) L’omission du travail scientifique en cours

Deuxièmement, ce genre de critique, même si elle diagnostiquait un problème réel au niveau des institutions et des acteurs en place,  constituera toujours une approche qui tombe à côté de la plaque (proche du « complotisme ») tant qu’elle puisera certains de ses arguments dans le domaine de la psychologie expérimentale sociale sans respecter et sans mentionner la richesse des débats au sein de ce domaine. Autrement dit,  on ne peut pas à la fois faire comme si on découvrait des faits cachés accablants, à contre-courant de l’opinion enthousiaste la plus répandue sur la méditation, même chez les experts prescripteurs, et aussi profiter de la richesse du champ de recherche de ces mêmes experts pour trouver des arguments qui vont dans notre sens. Soit on ne cite pas les études scientifiques, soit on les cite correctement, et en les citant, on fait apparaître les débats qui servent de garde-fous aux dérives possibles du mouvement « pleine conscience ». La multiplicité et la qualité des débats au sein de la science de la méditation devraient nous rendre optimistes, car cela sert de filet de sécurité, mais cette situation n’est pas restituée par les critiques qui citent pourtant certains des textes. Laissez-moi vous donner quelques exemples.

Le communiqué  de la Ligue des droits de l’homme fait plusieurs fois des allusions au travail académique effectué sur le sujet. Par exemple, elle écrit ces trois choses :

o   1) « Malgré des milliers d’études réalisées, la totalité des méta-analyses examinant ce domaine concluent à une absence d’effet significatif, ou à un effet très modéré de la MPC, insistant sur la nécessité d’une meilleure méthodologie de recherche. »

o   2) « Depuis, certaines conséquences préoccupantes de la pratique de la MPC ont été signalées, conduisant à une dépersonnalisation, à des attaques de panique ou à des épisodes psychotiques »

o   3) « conduit rapidement alors vers un conditionnement avec une perte d’esprit critique et un assujettissement de l’individu, expliquant aussi un certain engouement du secteur économique pour cet outil. » (je surligne)

Comme j’effectue un travail de veille au sujet de la méditation de pleine conscience depuis maintenant plusieurs mois, j’arrive, en filigrane, à voir à quelles études ils se référent à chaque fois (mais je ne peux pas être certain). Fournir la source devrait être la norme pour ce genre de communiqué ou pour les articles de presse.

Je pense que ces citations sont trompeuses. Toutefois, ce qui me dérange, c’est moins l’erreur qui naît du fait de privilégier certaines études au lieu d’autres (même deux scientifiques en désaccord se chamailleraient de cette manière) mais plutôt le fait que ces extraits sont déconnectés des débats vivants et nuancés de la communauté savante, qui sont notre meilleur bouclier contre les dérives de la méditation. Examinons de plus près :

1) La discussion sur le degré d’efficacité de la pleine conscience, et sur les différents problèmes méthodologiques inhérents au fait d’étudier la pleine conscience est très intéressante, certes. Au-delà du fait que la citation fait comme si le consensus scientifique était que la méditation n’avait pas ou trop peu d’effet bénéfique (ce qui n’est pas vrai) le problème est qu’elle fait passer le cours normal de la science (les réflexions difficiles sur la méthodologie) pour une crise majeure que la validité de la pleine conscience aurait subi. Si jamais vous adoptez ce point de vue biaisé, alors vous serez en pleine incompréhension face à la modestie épistémique des scientifiques et aux controverses saines entre collègues, et vous ne saisirez pas le fil rouge de la science qui suit son cours.

 2) L’article « Unpleasant meditation-related experiences»[2] que j’ai vu cité plusieurs fois par des journalistes (qui veulent souvent lui faire dire que la méditation provoque des effets indésirables, à la grande surprise de tous) contient une discussion très intéressante sur comment il convient de conceptualiser les blessures en méditation. La richesse de cette discussion n’est presque jamais retenue. Elle est souvent résumée comme voulant dire « la méditation peut être la cause d’effets indésirables », ce qui est très réducteur.

3) Le communiqué cite peut-être indirectement le débat sur la « McMindfulness »[3] c’est-à-dire la possible instrumentalisation et superficialisation de la pratique, dans le sens du maintien du statu quo politique et économique. La communauté académique est très prise par ces considérations. Si j’ai raison, la référence ici est étrange étant donné que l’inquiétude exprimée par le terme « McMindfulness « est que la méditation de pleine conscience serait totalement déconnectée de l’éthique bouddhiste,  ce qui est l’inverse de la crainte de la Ligue des droits de l’homme. Mais elle est moins étrange quand on devine que l’association s’imagine le bouddhisme comme une sorte de nihilisme passif complice du statu quo. Quoiqu’il en soit, il y a une riche discussion éthique et politique qui a lieu parmi les experts qui prescrivent la méditation, et cela devrait nous rassurer [4].

Bref, si cette communauté est capable de traiter les problèmes avec esprit critique, pourquoi décrire la direction dans laquelle nous nous engageons comme une marche aveugle, précipitée, et irréfléchie ? Pourquoi faire comme si ces considérations nous échappaient ?

Malheureusement, on peut deviner ce qui nous invite fortement à décrire la situation de cette manière. En un mot, c’est plus « vendeur ». William Van Gordon et Edo Shonin mettent le doigt sur le problème lorsqu’ils écrivent à propos de ceux qui critiquent la pleine conscience « malgré le fait que leur intention est de rendre sensible aux insuffisances de certaines approches récentes de la pratique de la pleine conscience […] [la critique] pourrait très bien devenir malencontreuse en raison du fait qu’elle cherche à établir sa propre légitimité et à se répandre »[5]. Ce qu’il faut comprendre c’est que le discours critique de la méditation fait face au même problème que le discours enthousiaste : en cherchant à se propager, il ne résiste pas à la tentation de se faire plus « vendeur », et donc de se simplifier jusqu’à la caricature. La réalité brouillonne d’une communauté scientifique mue par des grands débats sur le bien-fondé et/ou l’efficacité des protocoles de méditation est trop compliquée pour qu’on puisse l’imaginer simplement. Il est plus facile de s’imaginer que la plupart des gens sont dupes d’un engouement naïf pour la méditation, et que l’on peut rectifier la situation en leur mettant sous les yeux des faits accablants tirés de l’obscurité. Mais n’oublions pas de quel terreau vient cette étude ! Ne confondons pas les aléas du cours normal de la science avec un « scoop » : faire cette erreur désinforme activement les non-initiés, ce qui peut être très coûteux.

Que l’on soit pour ou contre l’enseignement de la méditation à l’école, nous devons faire attention à ne pas succomber à certaines phobies faciles : la peur de l’étranger, la peur du « lavage de cerveau », la peur de notre voisin, que l’on s’imagine comme un avaleur de sornettes. La « Ligue des droits de l’homme » met en garde contre les dérives sectaires, mais ce qui pousse les gens dans les bras des sectes, ce n’est pas pas la méditation de pleine conscience, c’est plutôt l’incompréhension douloureuse à laquelle font face ceux qui veulent sérieusement et radicalement prendre soin de leur esprit.

Pierrick Simon

lemiroirtranquille@outlook.fr

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09/08/2021


[2] Schlosser M, Sparby T, Vörös S, Jones R, Marchant NL (2019) “Unpleasant meditation-related experiences in regular meditators: Prevalence, predictors, and conceptual considerations.” PLoS ONE 14(5): e0216643.

[3] On McMindfulness https://tricycle.org/podcast/mcmindfulness/

[4] HELDERMAN, “The McMindfulness Wars” https://tricycle.org/magazine/mcmindfulness-debate/

[5] VAN GORDON, SHONIN, Second-Generation Mindfulness-Based Interventions: Toward More Authentic Mindfulness Practice and Teaching (MINDFULNESS ; 2020)

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